top of page
Search

Haïti sous emprise : comprendre les racines et les conséquences de la gangsterisation

  • H.Z
  • 2 days ago
  • 7 min read

Haïti, longtemps considéré comme le symbole de la résilience et de la lutte pour la liberté, est aujourd’hui en proie à une crise sécuritaire sans précédent. La montée en puissance des groupes armés, souvent mieux équipés que les forces de l’ordre, plonge le pays dans un climat de peur et d’anarchie. Derrière cette dérive inquiétante se cache un phénomène aux multiples facettes : la gangsterisation. Entre causes historiques, complicité politique et désespoir social, Haïti se retrouve otage de ses propres démons.



Origines de la gangsterisation : un terrain miné par l’instabilité

La gangsterisation d’Haïti ne surgit pas de nulle part. Elle prend racine dans des décennies de gouvernance fragilisée, de promesses non tenues et d’inégalités criantes. L’effondrement progressif des institutions, notamment judiciaires et policières, a laissé un vide que les gangs se sont empressés de combler.

La prolifération des armes à feu, souvent introduites illégalement via les ports et frontières peu contrôlés, a contribué à l’armement de ces groupes. En l’absence d’un système d’éducation solide et d’opportunités économiques, nombre de jeunes se retrouvent enrôlés par ces réseaux, attirés par l’argent facile, la protection ou la vengeance.

Le rôle trouble de la politique

La frontière entre politique et criminalité est devenue floue dans certains cercles de pouvoir haïtiens. Des rapports accablants évoquent des alliances tacites, voire directes, entre élus et groupes armés, dans le but de contrôler des quartiers, intimider des adversaires ou manipuler les élections.

Ce phénomène, que certains appellent instrumentalisation des gangs, rend toute solution durable difficile : on ne peut combattre ce que l’on entretient en coulisses. Ainsi, les gangs deviennent des acteurs politiques de fait, dictant parfois la loi à des institutions impuissantes.


Implication de politiciens et d'acteurs financiers

  • Selon un rapport des Nations Unies, des politiciens et des élites économiques haïtiennes financent les gangs pour obtenir des votes ou protéger leurs biens. L'ancien président Michel Martelly est cité pour avoir financé plusieurs gangs, notamment en leur fournissant des fonds ou des armes à feu. Le Nouvelliste


 Réponses gouvernementales et internationales

  • En juin 2024, Haïti a accueilli un premier contingent de 200 policiers kényans dans le cadre d'une mission multinationale d'appui à la sécurité (MMAS), visant à contrer la violence des gangs. Le Monde.fr

  • Le gouvernement haïtien a également annoncé le lancement d’un task force dédié à la lutte anti-gang, en collaboration avec des partenaires internationaux. L’une des mesures les plus controversées, mais potentiellement décisives, est l’introduction de drones kamikazes dans les opérations de neutralisation.



Le quotidien sous emprise : entre peur, déplacements et paralysie

Pour la population, la gangsterisation se vit au jour le jour : enlèvements, extorsions, fusillades, barrages routiers. Les zones dites "rouges" se multiplient à Port-au-Prince et dans d’autres régions. Les écoles ferment, les hôpitaux sont inaccessibles, le commerce informel décline.

Selon les données de l’ONU, des milliers de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, fuyant les affrontements entre gangs rivaux. La peur constante pèse sur tous les aspects de la vie : aller travailler, emmener ses enfants à l’école, même se rendre au marché est devenu un acte de courage


  • 2023 : Près de 5 000 homicides ont été enregistrés, soit une augmentation de 119 % par rapport à 2022. Les enlèvements ont également augmenté de 83 %, atteignant 2 490 cas. 20 Minutes

  • 2024 : Le nombre de personnes tuées par la violence des gangs a dépassé 5 600, avec 2 212 blessés et 1 494 personnes kidnappées. The United Nations Office at Geneva


Les zones rouges : quartiers capturés par les gangs

La carte de Port-au-Prince change à mesure que les gangs étendent leur territoire. Certaines zones stratégiques, anciennement contrôlées par les forces de l’ordre, sont désormais tombées entre les mains de groupes armés. Ces quartiers vivent sous le régime de la peur et de l’impunité.

📍 Carrefour-Feuilles

Ce quartier populaire a été l’un des premiers à tomber dans une spirale de violence. Les habitants, souvent pris au piège entre les balles, fuient en masse. Les groupes criminels y imposent des "taxes" de passage, et les rafles y sont fréquentes.

📍 Solino

Situé en plein cœur de la capitale, Solino est devenu un point stratégique pour les affrontements entre gangs rivaux. Les échanges de tirs y sont quasi quotidiens, paralysant toute vie économique et scolaire.

📍 Kinskoff

Longtemps perçu comme un havre de paix dans les hauteurs, Kinskoff n’a pas été épargné. Les routes qui y mènent sont régulièrement bloquées, et les habitants craignent désormais d’être pris en otage ou victimes de représailles.

📍 Delmas 30 & le bas Delmas

Les zones de Delmas 30 et du bas Delmas sont particulièrement affectées par l’infiltration des gangs. Elles constituent des couloirs logistiques essentiels pour le transport illégal d’armes et de marchandises. La police peine à sécuriser ces secteurs en raison des attaques répétées.


Déplacements forcés de la population

  • En décembre 2023, plus de 310 000 personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays, dont plus de la moitié l’ont été en 2023. IOM Haiti

  • En janvier 2025, le nombre de déplacés internes a triplé en un an, atteignant 1 041 000 personnes, principalement en raison de la violence des gangs et de l'effondrement des services essentiels. International Organization for Migration


Des forces de l’ordre en première ligne… et sous le feu

Face à cette insécurité grandissante, la Police Nationale d’Haïti (PNH) est mobilisée en permanence. Mais elle agit souvent avec des moyens limités, et surtout, avec un manque criant de soutien logistique. Depuis le début de l’année, plusieurs agents de l’ordre ont perdu la vie lors d’opérations de reconquête des zones contrôlées par les gangs. Certains ont été tués dans des embuscades soigneusement préparées, d'autres lors d’attaques contre des commissariats ou des patrouilles.

Les familles endeuillées, tout comme l’ensemble de la population, réclament justice et un renforcement de la capacité opérationnelle de la PNH. Malgré leur courage, les policiers sont trop souvent livrés à eux-mêmes, sans gilets pare-balles, sans appui aérien, ni services de renseignement efficaces.


Depuis le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en Haïti, menée principalement par le Kenya, les résultats sur le terrain demeurent limités. Malgré la présence de plus de 1 000 policiers issus de six pays, les gangs armés continuent de contrôler environ 85 % de Port-au-Prince, selon les Nations Unies Le Journal de Montréal.​

Les gangs ont adapté leurs tactiques face à la MMAS, utilisant des tranchées, des barricades, des drones pour surveiller les mouvements des forces de sécurité, et recourant à des boucliers humains pour dissuader les interventions La Presse. Cette évolution complique les opérations de la mission et aggrave la situation sécuritaire.​


Le manque de ressources et de coordination entrave l'efficacité de la MMAS. Le financement repose sur des contributions volontaires, avec seulement 110 millions de dollars collectés sur les 600 millions nécessaires annuellement Journal de Québec. Ce déficit budgétaire limite la capacité opérationnelle de la mission.​


La population haïtienne exprime des attentes élevées envers la MMAS. Selon un sondage du Centre d’Études Politiques et Diplomatiques, 66 % des Haïtiens souhaitent que les autorités s’attaquent aux cerveaux et financeurs des gangs pour mettre fin à l’insécurité Gazette Haiti. Cependant, les résultats concrets tardent à se matérialiser.​



Face à cette situation, des appels se multiplient pour transformer la MMAS en une mission de paix de l’ONU, afin de renforcer son mandat, son financement et sa logistique United Nations Press. L'objectif est de restaurer l'autorité de l'État et de rétablir la sécurité dans le pays.​

En résumé, malgré les efforts déployés, la MMAS peine à contenir la violence des gangs en Haïti. Des ajustements stratégiques et un soutien international accru sont nécessaires pour améliorer l'efficacité de la mission et répondre aux attentes de la population haïtienne.​

Sources


Pertes au sein des forces de l'ordre

  • En 2023, 48 agents de police ont été tués et 75 blessés. De plus, 1 663 agents, dont 152 femmes, ont quitté l'institution, réduisant les effectifs à 13 196 agents au 31 décembre. La Presse


Un tournant stratégique : drones kamikazes et task force anti-gang

Face à cette situation explosive, le gouvernement haïtien a récemment annoncé le lancement d’un task force dédié à la lutte anti-gang, en collaboration avec des partenaires internationaux. L’une des mesures les plus controversées, mais potentiellement décisives, est l’introduction de drones kamikazes dans les opérations de neutralisation.

🚁 Pourquoi des drones ?

Ces drones, équipés d’explosifs ou de systèmes de surveillance, permettent de frapper des cibles précises sans exposer directement les forces de l’ordre. Ils sont principalement utilisés dans les zones où les gangs sont retranchés et où les incursions terrestres s’avèrent trop risquées.

⚔️ Le rôle du task force

Composé de membres des unités spéciales, d'experts en contre-terrorisme et d'agents de renseignement, ce groupe d’élite a pour mission de coordonner les frappes, récolter les informations de terrain, et exécuter des actions ciblées contre les chefs de gangs. Il travaille de concert avec les drones pour mener des opérations chirurgicales.



Une population à bout, mais encore debout

Malgré la violence et l’abandon ressenti, les Haïtiens ne baissent pas les bras. Dans plusieurs quartiers, des réseaux de solidarité se mettent en place pour protéger les plus vulnérables. Des journalistes citoyens, des leaders communautaires et même des artistes s’engagent pour dénoncer l’oppression, documenter les exactions, et maintenir la flamme de la résistance.

Résistances locales et initiatives citoyennes

Face à l’inaction ou à l’incapacité de l’État, la société civile haïtienne s’organise. Associations, communautés religieuses, collectifs de jeunes et initiatives locales tentent de reconstruire le tissu social, d’apporter une aide humanitaire et de sensibiliser aux dangers du recours à la violence.

Des mouvements comme Bwa Kale, bien que controversés, illustrent la volonté de certains citoyens de reprendre le contrôle de leur sécurité. Cependant, ces initiatives, sans encadrement institutionnel solide, risquent aussi de dériver vers des formes de justice expéditive.



Quelles issues possibles ?

Sortir Haïti de cette spirale nécessite bien plus qu'une simple opération de police. Il faut une refondation globale :

  • Renforcement des institutions judiciaires et policières, avec un vrai programme de désarmement.

  • Lutte contre la corruption à tous les niveaux de l’État.

  • Investissements massifs dans l’éducation, la formation et l’emploi, pour offrir des alternatives concrètes à la jeunesse.

  • Soutien international coordonné, mais respectueux de la souveraineté haïtienne, pour aider sans imposer.


La gangsterisation d’Haïti n’est pas une fatalité. Elle est le reflet d’un abandon progressif de l’État et d’une société à la dérive, mais aussi d’une population résiliente qui aspire à un avenir digne. Comprendre ses origines et ses dynamiques est un premier pas essentiel vers la reconstruction d’un pays où la loi et la paix reprennent leurs droits.

Haïti vit une guerre non déclarée. Une guerre où des groupes criminels défient l’État, où les citoyens vivent en captivité, et où les forces de l’ordre tombent chaque jour. Mais dans ce chaos, une lueur d’espoir subsiste : la volonté de reprendre le contrôle. La mise en place de technologies comme les drones, l’émergence d’un task force spécialisé, et la résilience des Haïtiens peuvent encore inverser la tendance. Il est temps que l’État se relève — non pas avec des mots, mais avec des actions concrètes, pour que chaque quartier, chaque rue, chaque famille retrouve sa dignité et sa sécurité.

 
 
 

Comments


© 2035  Powered and secured by zazoodesign

bottom of page